On cite souvent la charte du Hamas et ses idées antisémites, notamment cette espèce d'églogue nazie selon laquelle la lutte ne se terminera pas avant que «les pierres et les arbres eussent dit: "musulman, serviteur de Dieu, un juif se cache derrière moi, viens et tue-le"» (art. 7).
Le texte colporte aussi l'idée que les sionistes sont partout, y compris dans la franc-maçonnerie ou le Rotary Club, des «organisations hostiles à l'humanité et à l'islam» qui disposent de «ressources matérielles considérables» pour atteindre les objectifs sionistes (art. 17). «Grâce à l'argent, ils règnent sur les médias mondiaux, les agences d'information, la presse, les maisons d'édition, les radios, etc. [...]. Grâce à l'argent, ils ont créé des organisations secrètes qui étendent leur présence dans toutes les parties du monde pour détruire les sociétés et réaliser les intérêts du sionisme» (art. 22). Pour les auteurs de la charte, ils sont même «derrière les deux guerres mondiales» et ils se trouvent à l'origine de la création des Nations Unies «pour gouverner le monde à travers cette organisation» (art. 22). «Leur plan se trouve dans les "Protocoles des Sages de Sion"» (art. 32).
Les Protocoles des Sages de Sion sont un roman de politique-fiction qui décrit un supposé complot juif mondial, ce qui en fait selon certains un texte interdit. L'encyclopédie Wikipedia affirme que sa diffusion afin de promouvoir la haine envers les juifs est contraire au pacte international relatif aux droits civils et politiques : «Tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l'hostilité ou à la violence est interdit par la loi» (art. 20.2). En fait, la question ne se pose pas tout à fait ainsi et la formulation de Wikipedia peut prêter à confusion : diffuser un texte antisémite ne constitue pas en soi un appel à la haine ; au contraire, on peut utiliser le texte pour critiquer les idées qui y sont présentées. Ce n'est pas la diffusion du texte qui pose un problème, c'est l'emploi qu'on en fait.
Le fait que ces idées soient reproduites dans la charte du Hamas comme si ce n'était pas de la fiction est incompréhensible. Comment une organisation, quelle qu'elle soit, peut-elle laisser publier de tels délires en son nom ? Elle se rend ridicule. L'histoire racontée dans les Protocoles n'est pas plus réelle que celle de Harry Potter à l'école des sorciers.
Selon Khaled Meshal, chef du Hamas depuis 2004, la réponse à cette question est apparemment que la charte n'est «plus pertinente, mais ne peut pas être changée pour des raisons internes» (1). Mais cet argument est étrange. D'une part, l'appel à la haine est une idée qui n'a jamais été pertinente. D'autre part, comment se fait-il que des «raisons internes» empêchent que les propos haineux et ceux tirés des Protocoles soient rayés du texte ? Il va de soi que les dirigeants du Hamas ne souhaitent pas avoir l'air ridicule ; ils devraient donc être les premiers ravis de supprimer les passages en cause.
Du point de vue du droit international, la situation est tout aussi préoccupante. En vertu du droit à la liberté d'expression, qui est protégé par le pacte international sur les droits civils et politiques (art. 19), le Hamas a parfaitement le droit de militer pour le remplacement de l'État israélien par un État palestinien historique qui engloberait Israël et les territoires occupés mais il doit le faire «dans le respect des règles démocratiques», selon l'expression que la Cour européenne des droits de l'homme a utilisée dans l'affaire du Parti communiste turc (§ 57).
Il n'est donc pas admissible que les propos des articles 7, 17, 22 et 32 n'aient pas conduit au rejet de la charte par les dirigeants du Hamas. On l'a vu plus haut, l'incitation à la haine est prohibée par le pacte international sur les droits civils et politiques de 1966, auquel la Palestine a adhéré en avril 2014, mais elle l'est aussi par la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale de 1969, à laquelle la Palestine a également adhéré en 2014 : «Les États parties condamnent toute propagande et toutes organisations qui s'inspirent d'idées ou de théories fondées sur la supériorité d'une race ou d'un groupe de personnes d'une certaine couleur ou d'une certaine origine ethnique, ou qui prétendent justifier ou encourager toute forme de haine et de discrimination raciales» (art. 4).
En dehors de la question de son illégalité, cette complaisance constitue aussi une erreur politique car la charte du Hamas est couramment citée aux États-Unis, en Europe et en Israël comme la preuve d'un projet d'exterminer les juifs. Les Américains et les Israéliens utilisent cette justification quand on leur reproche de refuser le dialogue avec les Palestiniens.
Quand on est — de loin — le protagoniste le plus faible dans des négociations internationales, on évite de fournir inutilement des armes à ses opposants. Or la charte gêne le travail des diplomates palestiniens. Les Israéliens ont de la chance d'avoir avec le Hamas un adversaire aussi peu avisé.
(1) Jane Adas, «Mazin Qumsiyeh on the History and Practice Of Nonviolent Palestinian Resistance», Washington Report On Middle East Affairs, mai-juin 2010, p. 42.