Lorsque j'ai lu pour la première fois 1984 de George Orwell, le scénario m'a paru aussi invraisemblable que celui de L'Homme invisible ou de La Guerre des mondes de Herbert George Wells. Des expressions comme «la liberté c'est l'esclavage» (freedom is slavery) ou «la guerre c'est la paix» (war is peace) me paraissaient magistrales du point de vue littéraire mais démunies du moindre sens dans le monde réel. Je me trompais.
En droit international, les attaques contre des objectifs civils sont interdits. Selon le Protocole additionnel I aux Conventions de Genève relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux, «les attaques doivent être strictement limitées aux objectifs militaires» (art. 52.2). Cette règle est admise comme appartenant au droit coutumier et tous les États du monde sont présumés s'y conformer. Le fait que ni les États-Unis ni Israël n'aient adhéré au Protocole I n'a donc pas d'importance: ils ont l'obligation de respecter cette interdiction.
C'est cette règle qui explique, par exemple, qu'un militaire ait le droit de tuer un combattant ennemi sur le champ de bataille, mais qu'il ait l'interdiction de le faire dès l'instant où cette personne cesse d'être un combattant : si on tue un soldat qui s'est rendu, ou qui est blessé et hors de combat, ou qui est en permission dans sa famille, on commet un crime de guerre.
Dans le cas des drones, la règle est bien entendu la même. Ainsi, si des combattants ennemis sont retranchés dans un bâtiment et participent à la bataille ou sont prêts à le faire, cela fait d'eux un objectif militaire qu'on peut bombarder. Par contre, si ces mêmes personnes séjournent dans leur famille, cela fait d'eux un objectif civil et c'est un crime de guerre de les prendre pour cibles (1).
Il n'existe que trois moyens légaux de tuer autrui : on peut le faire soit en situation de légitime défense, soit quand il s'agit d'un objectif militaire, soit à la suite d'une condamnation à mort prononcée par un tribunal compétent, indépendant et impartial, selon les termes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art. 14.1).
Là où ça ne va pas, c'est que les drones américains et israéliens s'emploient principalement, non pas sur le champ de bataille, mais pour tuer des gens dans leur vie civile et familiale. Et le fait que les États-Unis et Israël les appellent volontiers «terroristes» ne change rien au fait que les prendre pour cibles dans ces circonstances constitue un crime de guerre.
Ce qu'il faut relever, c'est que, aux États-Unis, c'est le président Obama qui a généralisé les attaques par drones. On a affaire à une situation type où «la guerre c'est la paix»: c'est l'homme qui a popularisé les meurtres par drones qui a reçu le prix Nobel de la paix (2).
La citation d'Orwell a été ranimée le 18 novembre par le gouvernement Trump quand il a décidé que les colonies israéliennes en Palestine («la guerre») ne violaient pas le droit international et que la probabilité d'un accord de paix était augmentée par cette décision («la paix»). Pour plus de détails, voir Pour Trump, les colonies israéliennes ne sont pas illégales.
(1) En réalité, ce n'est pas simple à cause des nombreux cas limites. Par exemple, si un sniper tire depuis le toit d'un hôpital, il constitue évidemment un objectif militaire qu'on a le droit d'attaquer, sauf qu'on ne peut pas le faire en détruisant tout l'hôpital et en tuant ainsi ses centaines de malades, de blessés et de soignants. Mais faire le tour des cas limites dépasserait largement le cadre de ce blog.
(2) Dans une interview, interrogé sur la raison pour laquelle il avait reçu le prix, Obama a répondu en plaisantant: «pour être honnête, je n'en sais toujours rien» (Heather Saul, «Barack Obama on Stephen Colbert: 'To be honest, I still don't know what my Nobel Peace Prize was for'», The Independent, 18/10/2016).