Ce qui est frappant, dans l'attaque militaire nommée Opération Rameau d'olivier que les Turcs mènent contre les Kurdes en ce moment, c'est que les Kurdes étaient nos alliés essentiels dans la guerre contre l'éphémère État de Daesh mais que, maintenant que l'armée turque envahit leur territoire, ils sont devenus dans les médias «un peuple considéré comme terroriste par Erdogan».
En Occident, personne ne fait rien pour les aider. Pourtant, dès 1945, le Statut du Tribunal militaire international contenu dans l'Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances européennes de l'Axe définissait la guerre d'agression comme un crime (art. 6.a), et, lors des procès de Nuremberg, Robert Jackson, le procureur en chef, l'a qualifiée de crime international suprême (1) :

En ce qui concerne la Charte des Nations Unies, même la seule menace de recourir à la force est hors la loi (art. 2.4).
Dans ces conditions, comment se fait-il que la Turquie puisse envahir militairement le nord de la Syrie sans autre réaction de la communauté internationale que les paroles stériles habituelles (les appels à la «retenue») ? Il y a quatre raisons vraisemblables :
- Les Européens ont un accord avec la Turquie pour qu'elle bloque le passage vers l'Europe des victimes de la guerre en Syrie et en Irak, et irriter Erdogan pourrait avoir pour conséquence qu'il romprait cet accord.
- La Turquie est une puissance régionale importante et, en tant que telle, il vaut mieux la ménager.
- Elle fait partie de l'OTAN et donc, au moins formellement, de nos alliés.
- La création éventuelle d'un État kurde serait susceptible de déstabiliser la région, et les dirigeants occidentaux préfèrent peut-être la stabilité sans le droit à l'autodétermination au droit à l'autodétermination sans la stabilité.
Dans le monde, personne ou presque n'aime Erdogan à cause de sa dérive vers l'autoritarisme, voire la dictature (2), mais cela n'a pas beaucoup de poids face aux arguments géostratégiques.
Ce qui se passe avec les Kurdes a clairement une résonance en Palestine. Pourquoi l'Occident aiderait-il les Palestiniens à faire valoir leurs droits alors que même les Kurdes sont sacrifiés malgré leurs excellentes références anti-islamistes et le fait que leur ennemi est détesté de tous ? On peut craindre que le soutien de l'Occident au droit des Palestiniens à l'autodétermination — droit qui passe nécessairement par leur droit à être débarrassés de l'occupation militaire israélienne — continue d'être en paroles et pas en actes.
(1) Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international, Nuremberg, 14 novembre 1945–1er octobre 1946, 1947; ouvrage numérisé par la Bibliothèque nationale de France (http://gallica.bnf.fr/blog/21042017/le-proces-de-nuremberg-dans-gallica). Citation de Jackson : tome 1, p. 197 (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9758859r/f220.image).
(2) Voir OHCHR, «Report on the impact of the state of emergency on human rights in Turkey, including an update on the South-East», Office of the United Nations High Commissioner for Human Rights, Genève, mars 2018 (http://www.ohchr.org/Documents/Countries/TR/2018-03-19_Second_OHCHR_Turkey_Report.pdf).