Lors des manifestations de la Grande Marche du retour de mars à mai 2018 à Gaza, les chirurgiens de Médecins sans frontières (MSF), qui ont soigné beaucoup de victimes des tris israéliens, ont observé des blessures inhabituelles (1) :
Les équipes médicales MSF constatent notamment un niveau extrême de destruction des tissus et des os, et des orifices de sortie de balles démesurés, qui peuvent avoir la taille d'un poing. «Chez la moitié des 500 victimes de tirs que nous avons prises en charge, la balle a littéralement détruit les tissus après avoir pulvérisé l'os [...]».
Ces constatations font penser à l'utilisation de balles expansives. Or les effets de ces projectiles sont si horrifiants que leur utilisation a été défendue dès 1868 — il y a 150 ans — par la Déclaration de Saint Petersbourg. Cette interdiction a été précisée en 1899 dans la Déclaration (IV,3) concernant l'interdiction de l'emploi de balles qui s'épanouisent ou s'aplatissent facilement dans le corps humain et elle a été répétée en 1907 dans le règlement annexé à la Convention (IV) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre (art. 23.e). Ces trois textes ont toujours force de loi.
En outre, ils confirment une règle coutumière de droit international qui a été acceptée par tous les pays à l'exception des États-Unis.
La même interdiction figure dans le Protocole additionnel I aux Conventions de Genève de 1977 (art. 35.2), auquel la Palestine a adhéré en 2014, mais Israël ne l'a pas signé. De plus, un amendement au Statut de Rome interdit lui aussi depuis 2010 d'utiliser des balles qui s'épanouissent dans le corps humain (art. 8.2.e.xv). La Palestine a accédé au Statut en 2015, mais Israël ne l'a pas signé non plus. Toutefois, cette dérobade du gouvernement israélien ne change pas grand chose puisque les déclarations de 1868 et 1899 ainsi que le règlement de 1907 s'appliquent toujours aujourd'hui.
À noter que l'interdiction des balles expansives ne concerne que les conflits internationaux. Un certain nombre de services de police sont équipés de balles de ce type, et, aux États-Unis, même les particuliers ont le droit de les employer.
De son côté, la Cour internationale de justice rappelle dans son avis sur la Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires que l'interdiction des balles causant des maux superflus fait partie des principes cardinaux du droit humanitaire (p. 257):
Malheureusement, les constatations des médecins de MSF ne vont pas forcément aboutir à quelque chose. Pour qu'une enquête ait lieu, il faut que la Cour pénale internationale intervienne (étant donné que les tribunaux israéliens resteront sans doute passifs), et il n'est pas certain qu'elle le fasse sachant que l'identité des auteurs présumés des crimes est inconnue et que ce ne sont pas les victimes ou les médias qui pourront aider à les découvrir puisque des centaines de mètres les séparaient des tireurs. Par contre, il y a moyen de savoir qui étaient ceux qui ont donné les ordres : les officiers supérieurs et les membres du gouvernement sont connus par leur nom.
Quoi que décide la CPI, il faut être conscient qu'il n'y a aucune chance pour que le gouvernement israélien collabore à une éventuelle enquête internationale. Ni les soldats qui ont tiré ces balles, ni leurs officiers, ni les responsables qui ont donné les ordres ne pourront être interrogés par la CPI. Cela étant, les chances qu'une enquête aboutisse à des résultats exploitables ne sont pas grandes.
(1) «Gaza : des blessures par balle inhabituelles et dévastatrices», Médecins sans frontières, 19/5/2018.