Le 20 octobre 2015, la Chambre criminelle de la Cour de cassation française a décidé dans ses arrêts 14-80.021 et 14-80.200 qu'un appel au boycott de produits en provenance d'Israël était illégal. Voici deux extraits que je n'ai pas pu vérifier, la cour n'ayant pas mis ces arrêts en ligne au moment où ces lignes sont écrites; ils proviennent du site www.jssnews.com (1):
«La provocation à la discrimination ne saurait entrer dans le droit à la liberté d’opinion et d’expression dès lors qu’elle constitue un acte positif de rejet, se manifestant par l’incitation à opérer une différence de traitement à l’égard d’une catégorie de personnes, en l’espèce les producteurs de biens installés en Israël.» [...]
« L’exercice de la liberté d’expression, proclamée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, peut être, en application du second alinéa de ce texte, soumis à des restrictions ou sanctions qui constituent, comme en l’espèce, des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la défense de l’ordre et à la protection des droits d’autrui.»
Ces assertions sont choquantes (2).
D'abord, la cour emploie l'expression de «provocation à la discrimination» pour désigner le boycott en cause. Apparemment, elle considère donc que les deux expressions sont synonymes (au moins en l'espèce), ce qui voudrait dire que les juges n'ont pas compris qu'un boycott est une action menée pour réagir à ce que fait un groupe ou un pays — ici, occuper militairement la Palestine et le Golan syrien — alors que la discrimination se fonde sur ce qu'est un groupe. La distinction est pourtant extrêmement importante, comme le savent malheureusement les juifs, qui ont été tués par millions par les nazis au nom de ce qu'ils étaient et en aucune manière de ce qu'ils faisaient ou avaient fait (en réalité, n'avaient pas fait).
Ensuite, la cour ne me paraît pas conséquente. Elle dit avoir affaire à un «acte positif de rejet» et à «une différence de traitement». Or tout boycott répond par définition à ces deux critères. Si on se base sur ces éléments, aucun boycott ne peut être légal. Mais cela semble incompatible avec le droit international et en particulier avec le pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel la France a adhéré en 1980: «Toute personne a droit à la liberté d'expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce [...]» (art. 19.2).
Un appel à boycott consiste justement à répandre des idées et il constitue donc précisément le genre de droits que le pacte veut protéger. Qu'on s'intéresse à la lettre ou à l'esprit des textes, il n'y a d'ailleurs pas la moindre indication dans le pacte ou dans les commentaires qui l'accompagnent (3) de l'idée que le boycott formerait une exception à la liberté d'expression. On peut être d'accord ou non avec les partisans d'un boycott des produits israéliens et notamment de ceux qui proviennent en réalité de Palestine ou du Golan (voir Un vin israélien... en Syrie), mais ces personnes ont le même droit que tout le monde d'exprimer publiquement leur opinion.
À l'inverse, si des gens demandent, par exemple, de boycotter les produits en provenance d'Iran en se basant sur l'attitude négative de ce pays envers Israël, ils ont le droit d'agir ainsi quoi qu'on pense de leurs vues.
Il y a une phrase célèbre attribuée à tort ou à raison à Evelyn Beatrice Hall: «Je désapprouve ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous ayez le droit de le dire». Ces mots expriment un principe essentiel de la démocratie et le pacte international sur les droits civils et politiques a pour but de le dire dans son article 19.
(1) «La plus instance judiciaire française confirme l'illégalité du boycott d'Israël», JSS News, 27 octobre 2015.
(2) Voir aussi Ghislain Poissonnier, «Pour la Cour de cassation, la liberté d'expression n'autorise pas l'appel au boycott des produits israéliens», Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine, http://www.aurdip.fr/pour-la-cour-de-cassation-la.html, 29 octobre 2015.
(3) «General comment No. 34», CCPR/C/GC/34, Nations Unies, http://www2.ohchr.org/english/bodies/hrc/docs/gc34.pdf, 12 septembre 2011.