Le cas d'Ahed Tamimi

Ahed Tamimi est une jeune fille de 16 ans qui a bousculé deux soldats israéliens et giflé l'un d'entre eux. Ils se trouvaient devant chez elle, à Nabi Salih, en Cisjordanie.

Pour cela, elle a été arrêtée et emprisonnée, et, le 17 janvier 2018, le juge a décidé qu'il ne pouvait pas la libérer sous caution. Il ne voyait «pas d'alternative à sa détention jusqu'à la fin de la procédure. La gravité des infractions dont elle est accusée ne permet pas de trouver une alternative à la détention» (1). D'après l'organisation israélienne B'Tselem, l'audience a été «un exemple emblématique — un parmi des milliers — de ce que le système des tribunaux militaires israéliens ne sert pas la justice, mais constitue un outil d'oppression majeur au service de la mainmise d'Israël sur les Palestiniens dans les territoires occupés» (2).

Dans le monde, il n'existe pas un seul État démocratique où une jeune fille de 16 ans qui gifle un soldat est susceptible d'être emprisonnée pendant des semaines, d'autant que ces semaines deviendront presque à coup sûr des mois ou des années. 

On ne voit pas comment cette décision du juge pourrait être compatible avec la Convention relative aux droits de l'enfant, qui dispose que la détention d'un enfant doit «n'être qu'une mesure de dernier ressort, et être d'une durée aussi brève que possible» (art. 37.b). Cette convention a été ratifiée par Israël en 1991.

Il y a douze chefs d'accusation, dont l'un des plus sérieux est «la tentative d'influencer l'opinion publique» (3). Or il n'y a pas non plus un seul État démocratique où ce chef d'accusation existe. Si c'était le cas, la plupart des journalistes seraient en prison et ils seraient accompagnés entre autres par les syndicalistes, les militants politiques et les gouvernements eux-mêmes. 

C'est au contraire un droit fondamental proclamé dans la Déclaration universelle des droits de l'homme (art. 18) et garanti par les traités internationaux sur le sujet, notamment la Convention européenne des droits de l'homme (art. 10) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art. 18) qu'Israël a ratifié en 1991 et auquel il a, en conséquence, l'obligation de se conformer. Certains critiquent Ahed Tamimi en l'accusant de mettre en scène son action (4), mais, en supposant que ce soit le cas, elle en a pleinement le droit. Cela fait partie intégrante de la liberté d'expression.

Un autre point est important: les tribunaux millitaires n'ont pas à juger des enfants; ce sont les tribunaux pour mineurs qui doivent s'en charger. Il ne faut pas oublier que les juges militaires sont des militaires, mais pas des juges: ils ne font pas partie du pouvoir judiciaire, mais du pouvoir exécutif — ils obéissent aux ordres du gouvernement. Par définition, ils ne sont donc pas indépendants, et, en jugeant des enfants, ils violent la Convention sur les droits de l'enfant, qui impose que la cause «soit entendue sans retard par une autorité ou une instance judiciaire compétentes, indépendantes et impartiales» (art. 40.b.iii).

À noter que la mère et le père d'Ahed Tamimi ont été emprisonnés plusieurs fois pour des faits de résistance à l'occupation, que son oncle a été tué en 2012 par un militaire israélien lors d'une action de résistance, et que, il y a un mois, son cousin Mohammed, âgé de 14 ans, a été sévèrement blessé au visage par un projectile israélien, au point qu'on se demande comment il a pu survivre quand on voit à quel point sa tête en reste déformée (5). Ahed Tamimi a des raisons d'agir.

Cela n'empêche pas le ministre israélien de l'éducation Naftali Bennett de dire que la jeune fille, sa cousine et sa mère devraient toutes les trois «passer le reste de leur vie en prison» (6). Il est intéressant de comparer cette prise de position avec celle qu'il a tenue envers Elor Azaria, l'Israélien qui a tué un Palestinien intentionnellement et de sang froid (voir Deux poids, deux mesures: il a appelé à la grâce du meurtrier (7). 

(1) «Israeli judge denies bail to Palestinian teenager Ahed Tamimi», The Guardian, 17/1/2018.
(2) «'Ahed and Nariman Tamimi remanded in custody as military prosecution requested», B'Tselem, 17/1/2018.
(3) Yolande Knell, «Ahed Tamimi: Spotlight turns on Palestinian viral slap video teen», BBC News, 17/1/2018.
(4) Ian Lee, «Ahed Tamimi: Palestinian heroine or dedicated trouble-maker?», CNN, 8/1/2018.
(5) Gideon Levy, Alex Levac, «The Story Behind Ahed Tamimi's Slap: Her Cousin's Head Shattered by Israeli Soldiers's Bullet», Haaretz, 5/1/2018.
(6
) «Israel: Release teenage Palestinian activist Ahed Tamimi», Amnesty International, 15/1/2018.
(7) Uri Misgav, «Elor Azaria Isn't 'The Child of All of Us' - He's Their Child», Haaretz, 6/1/2017.

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