Le droit international est un outil d'une très grande importance pour encourager la résolution non violente des conflits et minimiser les risques de guerre. En conséquence, les États du monde s'y conforment souvent, et, quand ils s'en écartent, ils fournissent normalement des excuses à leurs actions. Quand le président Bush fils a légalisé la torture, il a déguisé son initiative sous des justifications sans validité juridique, mais qui en avaient l'apparence, comme l'«interrogation améliorée» (1).
Pourtant, en décidant de déplacer leurs ambassades à Jérusalem, les présidents Donald Trump et Jimmy Morales ne se sont même pas donné la peine d'inventer des excuses. Or les États-Unis et le Guatemala ont l'obligation de respecter les résolutions 476 et 478 (1980) du Conseil de sécurité, votées toutes les deux par quatorze voix contre zéro, avec une abstention, celle des États-Unis (ils y sont obligés par l'article 25 de la Charte des Nations Unies). Le second texte interdit expressément d'établir des missions diplomatiques à Jérusalem.
Enfreindre le droit international tout en s'en défendant est très différent de le violer sans chercher de prétexte. Dans le premier cas, le fait de fournir une explication revient à confirmer non seulement l'existence de la règle mais aussi son bien-fondé. Dans le second cas, on montre qu'on n'en a rien à faire.
Pourtant, ces règles ont une importance immense. Elles ont été instaurées par les États au nom de leurs peuples «résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l'espace d'une vie humaine a infligé à l'humanité d'indicibles souffrances» (préambule de la Charte).
Pourquoi Donald Trump et Jimmy Morales se moquent-ils ainsi du droit international ? Dans le cas de Morales, il paraît clair que c'est pour manifester sa soumission face à Trump, mais, dans le cas de Trump, c'est déconcertant sachant qu'il ne peut pas ignorer que sa décision le met en porte-à-faux avec une bonne partie du monde.
En particulier, il place ses alliés arabes dans une position impossible : ils ne peuvent plus guère prétendre que leurs bons contacts avec Washington sont dans l'intérêt des Palestiniens sans être un objet de risée. Le travail des ambassades américaines dans les pays musulmans est devenu plus compliqué, et les diplomates russes et chinois sont certainement ravis de cette aide inespérée pour étendre leur influence aux dépens de celle des États-Unis.
La solitude de Trump est presque complète. Au niveau international, l'Assemblée générale a voté le 21 décembre par 128 voix contre 9 une résolution demandant que tous les États se conforment aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité sur Jérusalem (2). Au niveau national, même les multinationales peuvent pâtir de ses propos : une mauvaise image internationale n'aide pas aux ventes. Le seul secteur économique servi par un climat international tendu, c'est celui de l'armement.
Est-ce que Trump se rend compte que sa décision est mauvaise pour son propre pays et qu'elle risque en outre d'accroître les tensions au Proche-Orient, avec les dangers que cela implique pour la sécurité de la population palestienne mais aussi de celle d'Israël ? Mais qu'il l'a prise quand même parce qu'elle est susceptible de faire le jeu de ses amis de l'industrie d'armement ?
Ou est-ce qu'il cherche surtout à détourner l'attention de l'enquête que Robert Mueller mène actuellement sur sa campagne présidentielle, auquel cas il donne la priorité à sa situation personnelle sur la sécurité des populations palestienne et israélienne ? C'est l'hypothèse que privilégie le rabbin David Shneyer (3).
(1) Voir P. Jaquet, États-Unis : une politique étrangère criminelle, Alphée, 2010, pp. 325-336.
(2) «Full text: UN Resolution Rejecting Trump's Recognition of Jerusalem as Israel's Capital», Haaretz, 21/12/2017. Voir aussi «How did your country vote on the Jerusalem resolution?», BBC News, 22/12/2017.
(3) David Smith, «Trump's Jerusalem declaration draws mixed reactions from Jewish Americans», The Guardian, 6/12/2017.