Dans un discours prononcé le 7 mars 2016 au CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), le premier ministre français Manuel Valls a ajouté un commentaire personnel, non inclus dans le texte écrit qu'il avait reçu : «Il y a l'antisémitisme et il y a l'antisionisme, c'est-à-dire tout simplement le synonyme de l'antisémitisme et de la haine d'Israël».
L'antisémitisme est une doctrine raciste. Il consiste à considérer comme des êtres inférieurs l'ensemble des personnes, dans le monde, qui se trouvent être de religion ou d'origine juive. L'antisémitisme s'intéresse à ce que sont les gens et non à ce qu'ils font. Des millions de personnes ont été tuées en son nom et elles n'étaient coupables que d'une chose : être nées dans la famille qu'il ne fallait pas.
L'antisionisme est une position politique. Il consiste à s'opposer à l'appropriation par des immigrés généralement européens de terres appartenant aux Palestiniens, en rappelant qu'un Palestinien est un habitant de la Palestine, ce qui veut dire qu'il peut être musulman, chrétien, juif, athée, etc. (il y avait dans la Palestine ottomane une communauté d'environ 25'000 juifs). L'antisionisme s'intéresse à la spoliation des terres, pas à la religion des uns ou des autres.
Confondre une doctrine raciste avec une position politique, c'est du même ordre que de confondre l'alchimie avec la chimie ou l'astrologie avec l'astronomie. Venant d'un premier ministre, chef du gouvernement de l'un des cinq États membres permanents du Conseil de sécurité, c'est alarmant.
Il faut rappeler que les Nations Unies demandent depuis bientôt cinquante ans que la ligne d'armistice de 1967 devienne la frontière entre les États d'Israël et de Palestine (Résolution 242). Le sionisme étant la doctrine qui vise au développement d'Israël, le retrait israélien sur la ligne de 1967 est par définition antisioniste, et donc, à en croire Manuel Valls, antisémite.
Il faut aussi noter que des mouvements religieux juifs comme American Jews Solidarity Against Zionism, Jews Against Zionism, Naturei Karta et True Torah Jews se déclarent antisionistes parce que le salut est une démarche spirituelle, à l'opposé de la constitution d'un État qui repose sur la force des armes (1). Si on suit Valls, ces mouvements juifs sont donc antisémites.
Il en va de même d'analystes politiques d'origine juive comme Noam Chomsky (qui a étudié le système colonialiste mis en place par les Israéliens), Jeff Halper (régime d'apartheid), Ilan Pappé (nettoyage ethnique) et d'autres, Joel Beinin, Norman Finkelstein, Brian Klug, Dorothy Naor, Jacqueline Rose, etc. De nouveau, si on suit Valls, ces personnalités juives sont antisémites.
Il est intéressant de noter qu'un mouvement juif européen, le Bund, était opposé à la création d'Israël en disant que cela causerait «une guerre de cent ans» (2). On en est à soixante-huit ans et il ne faut pas oublier que, si l'équation antisionisme = antisémitisme est une tromperie, l'équation guerre = morts + blessés + réfugiés, elle, se révèle vraie dans tous les cas.
(1) Pierre Jaquet, L'État palestinien face à l'impuissance internationale, L'Harmattan, 2013, p. 173.
(2) Laurent Joffrin, «Antisionisme et antisémitisme : l'erreur de Valls», Libération, 8 mars 2016.