Plus d'une semaine a passé depuis le décès de Shimon Peres. Cela aurait pu laisser le temps aux opinions divergentes de s'exprimer, mais, si on parcourt les articles de la grande presse, il reste défini de façon presque unanime comme un homme de paix.
Une exception à l'opinion dominante est celle de Robert Fisk, de l'Independant, qui est l'une des personnes qui connaît le mieux la région (1). Il écrit: «Shimon Peres n'était pas un homme de paix. Je n'oublierai jamais la vue du sang versé et des corps qui brûlaient à Qana» (2), faisant allusion au massacre de Qana, en 1996, dont on a peu entendu parler en Occident, mais qui reste bien vivant dans la région (3).
L'observation de la carrière de Shimon Peres dans son ensemble va dans le même sens : tout indique que ce n'était pas un homme de paix. Par exemple, il a soutenu la colonisation israélienne de la Palestine alors qu'il ne pouvait pas ignorer qu'elle revenait de fait à empêcher la solution des deux États, à moins de rétrocéder ces territoires aux Palestiniens — une option défendue par aucun des gouvernements auxquels Peres a participé.
Les articles sur le décès de Peres montrent qu'il y a un véritable problème avec le journalisme politique. On n'arrive à rien qui ressemble à l'objectivité en citant les opinions des uns et des autres et en les plaçant sur un même plan comme si elles se valaient. Si le nazisme était d'actualité aujourd'hui, j'ai bien peur qu'on lirait dans la presse des commentaires comme «selon des mouvements pour les droits de l'homme, il existe des camps de la mort mais le chancelier Hitler réfute ces allégations».
On voit ce genre de pseudo-objectivité dans toutes les situations de conflits. Quand Ronald Reagan a attaqué militairement l'île de la Grenade (4), beaucoup de journalistes occidentaux ont parlé du droit légitime à la légitime défense des États-Unis, et les réactions ont été similaires quand le président Bush fils a mené une guerre d'agression contre l'Irak au nom des «armes de destruction massive» de Saddam Hussein, le chef de l'État irakien. Or non seulement Saddam ne possédait pas de telles armes, mais il n'avait jamais eu l'intention de mener contre les États-Unis aucune forme d'action militaire ou paramilitaire que ce soit (6).
La même attitude de la presse a été observée lorsque Bush fils a vu que la tromperie des armes de destruction massive était découverte et qu'il a décidé de justifier la guerre au nom de la démocratie. C'est ainsi, par exemple, que l'Economist a parlé de sa «vision ambitieuse pour un Moyen-Orient libre et démocratique» (5). Pourtant, cette justification est très peu plausible: peut-on imaginer, par exemple, que le président Hollande ou la chancelière Merkel décident d'attaquer militairement la Corée du Nord dans le but d'y apporter la démocratie, avec les dizaines ou les centaines de milliers de morts que cela implique ? Aucun chef d'État raisonnable ne ferait une chose pareille.
(1) Robert Fisk, Pity the Nation, Nation Books, New York, 2002; Robert Fisk, The great war for civilisation, Alfred A. Knopf, New York, 2005.
(2) Robert Fisk, «Shimon Peres was no peacemaker. I'll never forget the sight of pouring blood and burning bodies at Qana», The Independant, 28/9/2016.
(3) Voir P. Jaquet, L'État palestinien face à l'impuissance internationale, L'Harmattan, 2013, p. 163.
(4) P. Jaquet, États-Unis : Une politique étrangère criminelle, Éditions Alphée, 2010, p. 92.
(5) «A bold vision for the Middle East», The Economist, 7 novembre 2003.
(6) P. Jaquet, États-Unis : Une politique étrangère criminelle, Éditions Alphée, 2010, , pp. 279-302.