Aux États-Unis, un projet de loi, le United States-Israel Trade and Commercial Enhancement Act, est notamment dirigé contre les campagnes de boycott des produits en provenance des colonies israéliennes en Palestine et en Syrie. À mon sens, il pourrait bien violer l'esprit, si ce n'est la lettre, du droit international, se plaçant ainsi aux côtés du United States-Israel Enhanced Security Cooperation Act (voir Le United States-Israel Enhanced Security Cooperation Act).
Le United States-Israel Trade and Commercial Enhancement Act reconnaît de fait les colonies israéliennes alors qu'elles sont illégales au regard du droit international (voir La colonisation et le droit international). Le Conseil de sécurité l'a dit dans sa résolution 446 de 1979, «la politique et les pratiques israéliennes consistant à établir des colonies de peuplement dans les territoires palestiniens et autres territoires arabes occupés depuis 1967 n'ont aucune validité en droit et font gravement obstacle à l'instauration d'une paix générale, juste et durable au Moyen-Orient».
Ce qui pose problème, dans le United States-Israel Trade and Commercial Enhancement Act, c'est que le Congrès déclare qu'il «soutient les efforts pour empêcher des enquêtes ou des poursuites menées par des gouvernements ou des organisations internationales contre des personnes des États-Unis sur la seule base que ces personnes commercent avec Israël, avec des entités israéliennes ou dans les territoires sous autorité israélienne» (sec. 3.7), c'est-à-dire dans les colonies.
D'abord, la formulation du texte est alarmante: empêcher des enquêtes, c'est difficile à allier avec la législation d'un État de droit. Quand il y a matière à enquêter, les règles fixées dans un État de droit sont au contraire présumées faciliter les choses sachant que chaque partie aura l'opportunité de défendre sa position durant la procédure.
Ensuite, chacune des quatre conventions de Genève interdit l'appropriation de biens exécutée à une grande échelle si elle est illicite, arbitraire et non justifiée militairement, définition à laquelle les colonies répondent parfaitement. C'est même une infraction si grave que chaque État membre a l'obligation de rechercher les criminels présumés quelle que soit leur nationalité (art. 49 convention I, art. 50 conv. II, art. 129 conv. III et art. 146 conv. IV). Comment la reconnaissance des colonies par le United States-Israel Trade and Commercial Enhancement Act pourrait être conciliable avec ces dispositions, je ne le vois pas.
Le pacte international relatif aux droits civils et politiques est aussi concerné. D'une part, il garantit la liberté d'expression (art. 19), dont l'appel au boycott est un exemple classique. D'autre part, il institue un comité des droits de l'homme (art. 28.1) qui peut mener toutes les enquêtes qu'il juge appropriées (art. 40.4). Ici aussi, le United States-Israel Trade and Commercial Enhancement Act paraît être en conflit avec le droit international.
Enfin, le projet de loi pose un problème de constitutionnalité: le premier amendement de la constitution américaine spécifie: «Le Congrès ne fera aucune loi [...] qui restreigne la liberté de parole [...]» (1). Dans l'affaire West Virginia State Board of Education v. Barnette de 1977, la Cour suprême a dit ceci: «S'il y a une étoile fixe dans notre constellation constitutionnelle, c'est bien qu'aucune autorité, haute ou basse, ne peut prescrire ce qui est orthodoxe en politique, en nationalisme, en religion ou autre question d'opinion [...]. S'il existe des circonstances qui permettent une exception, nous ne voyons pas lesquelles» (p. 642).
Le premier amendement ne protège que très partiellement les étrangers (2), mais il donne aux ressortissants des États-Unis le droit de recevoir tout type d'informations venues de l'étranger, comme la Cour suprême l'a dit dans l'affaire Lamont v. Postmaster General de 1965. La compatibilité du United States-Israel Trade and Commercial Enhancement Act avec le droit constitutionnel américain est donc sujette à caution elle aussi.
(1) Le sens des mots le Congrès ne fera aucune loi qui restreigne la liberté de parole ne doit pas être pris au pied de la lettre. D'un côté, la protection a été considérablement étendue en y soumettant non seulement le Congrès, mais aussi le pouvoir exécutif et judiciaire fédéral ainsi que le législatif, l'exécutif et le judiciaire des cinquante États de l'Union (et voilà pour «le Congrès»). De l'autre côté, des restrictions y ont été apportées dans bon nombre de lois, notamment au nom de la sécurité nationale (et voilà pour «aucune loi»).
(2) Voir par exemple Timothy Zick, The Cosmopolitan First Amendment, Cambridge University Press, New York, 2014, pp. 199-227.